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L’EXODE

— J’en ai reçu deux ! s’écriait le Dr Claveaux, dont l’innocence était prompte à s’alarmer.

Et il se reprocha de leur avoir parlé dans la cuisine, en présence des bonnes, qui pouvaient le trahir.

De nouvelles troupes arrivaient continûment. Elles croisaient les colonnes de réfugiés qu’on renvoyait de la ville. D’autres colonnes attendaient aux remparts qu’on leur permît d’entrer. Mais déjà les écoles et les églises ne parvenaient plus à contenir l’affluence des malheureux, si bien qu’il fallut repousser cette invasion de misère. Les vivres, d’ailleurs, commençaient à manquer.

Il pleuvait. Dans les rues, pleines de chevaux alignés, où le crottin souillait jusqu’aux trottoirs, les territoriaux mouillés, le ventre creux, maudissaient leurs cuisines, qui n’arrivaient pas. Elles s’étaient perdues en route ; peut-être n’avaient-elles pu suivre les soldats rués vers la bataille, où ils devaient prendre position, dès le lendemain matin ?

— J’ai soixante hommes, dit à Philippe un lieutenant, qui se promenait, les mains dans les poches, devant la maison du Dr Claveaux. Il n’ont rien mangé de tout le jour… Faut qu’ils se couchent là, sous la pluie, et demain, à la première heure, en route pour la ligne de feu !

S’oubliant lui-même, il ajouta :

— Les pauvres bougres… Tout ce qu’ils ont pu s’acheter, c’est un petit pain d’un sou ! Et encore, il n’en restait guère.