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TROISIÈME PARTIE

les yeux au plafond, secoua la tête et, après un soupir, se remit à fumer. Évidemment, il semblait détester son métier de bourreau. On ne pouvait qu’approuver un tel sentiment ; c’est pourquoi Philippe essaya de lui sourire. Sans doute, fut-ce à la manière dont les chiens montrent les dents, car le soldat, baissant la tête, laissa tomber la conversation.

La sombre terreur, que l’Allemagne répandait sur le monde, allumait en Philippe une telle fièvre de haine que ses regards la trahissaient, en dépit de ses efforts pour la dissimuler. Il avait beau se dire que ces pauvres diables étaient victimes autant que bourreaux, cette réflexion n’atténuait point l’effroi qu’il avait des Allemands.

Il retourna donc au salon, incapable de supporter leur présence…

De cette entrevue, il résulta pour Philippe une longue nuit d’insomnie, où le moindre bruit le faisait tressaillir. Un talonnement de bottes sur le trottoir, les voix rauques de soldats attardés donnaient à craindre on ne savait quoi de sinistre, tant le sort de la ville était à la merci d’une rixe d’ivrognes, d’un coup de feu, du moindre caprice des envahisseurs.

Enfin, à la pointe du jour, le roulement des chariots dans la rue voisine annonça que l’armée commençait à partir.

On soupira d’aise, quand le dernier canon se fut éloigné. Chacun retourna à ses occupations, heureux que la ville n’eût souffert que du pillage d’une bijou-