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L’EXODE

Parfois la lune avançait un rayon sur Lucienne, dont les yeux aveuglés d’ombre se tournaient vers la campagne obscure. Ses cheveux noirs, divisés à la tempe, formaient obliquement un bandeau cachant l’oreille et qu’un peigne d’ivoire accrochait au chignon.

Bien qu’elle ne fût pas vraiment jolie, elle séduisait par cette atmosphère que certaines femmes retiennent autour d’elles, par ce rayonnement des âmes profondes, qui attire comme l’inconnu.

Peut-être pensait-elle à son dernier amour, pendant que Philippe songeait à son dernier livre avec amertume ! Peut-être accusait-elle aussi la société, les événements…

Quoiqu’il ne s’en prît point aux circonstances de la médiocrité de sa vie, il demeurait persuadé qu’elles sont parfois assez puissantes pour nous empêcher d’atteindre à notre but.

D’ailleurs, il ne dépend pas de nous d’avoir du génie, des muscles d’athlète ou des dentelles à notre berceau. À qui s’en prendre, si l’on est timide, enclin à reculer devant la brutale énergie des forts ? Pourquoi avait-il une âme sensible et un corps sans vigueur ? Pourquoi son éducation, au lieu de le durcir pour la résistance, avait-elle mis à nu ses points vulnérables, réprimé ses instincts, affiné ses délicatesses ?…

Encore, si l’on pouvait recommencer sa vie, l’enrichir de son expérience, la faire évoluer dans un milieu nouveau… Il n’en faudrait pas plus pour créer le surhomme.