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TROISIÈME PARTIE

et de bombardements, du haut de sa tour qui contemplait des siècles, qu’il ne s’arrêtait point de chanter, parce que des Allemands se montraient à l’horizon.

Les bonnes gens d’Ypres se persuadaient qu’ils passeraient loin de la ville ; chacun s’endormait sans crainte. Le vieux Barnabé allait chaque jour à la Châtelainie parcourir les journaux, faire une partie de billard. Sylvain prenait bien un peu d’inquiétude aux récits des blessés qui venaient s’abattre dans sa clinique, mais il n’en laissait pas moins ses fillettes au pensionnat, personne à Ypres ne pouvant s’imaginer que la guerre changerait le cours de ses paisibles habitudes.

Un dimanche matin, après l’heure de la messe, Philippe accompagna Mme Claveaux, qui allait voir ses fillettes au couvent. C’était un couvent très ancien, situé dans une rue silencieuse, bordée de beaux hôtels du siècle de Louis XV. Le portail s’élevait, en forme de chapelle, entre des murs de briques rouges et des bâtiments modernes d’un style déplorablement banal.

Il n’en était pas moins réputé. On y recevait « la meilleure éducation » ; des sœurs irlandaises y maintenaient une tradition morale, qui remontait à Jacques II d’Angleterre. Aussi régnait-il sur le couvent un certain parfum d’aristocratie, et c’était un privilège que d’être admis à le respirer.

Mme Claveaux désirait que ses filles fussent « bien