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PREMIÈRE PARTIE

Elle ne répondit pas tout de suite. Elle fronça les sourcils, et ses traits un peu mous se durcirent. Croisant les mains sur un genou replié, elle dit à Marthe :

— Écoutez ! Promettez-moi de ne plus faire allusion à ce que Philippe appelle une histoire. Je ne veux plus en entendre parler.

— Tu as raison, approuva Mme Héloir, ce n’est pas à vingt-quatre ans qu’il faut désespérer.

— Qui vous dit que je désespère ?

Lysette, ayant horreur des conversations sérieuses, interrompit ce qu’elle estima de la quintessence :

— J’ai faim. Si nous entamions les sandwichs ?

— Bonne idée ! fit Marthe. Philippe, avance donc le panier !

On se passa des petits pains, des fruits, du vin blanc, et l’on ne parla plus que de choses indifférentes, laissant derrière soi les pensées graves et les souvenirs.

Le souper fini, Lucienne prit un livre, Philippe déploya son journal, tandis que Lysette regardait le paysage et que Marthe ouvrait les valises, en prévision de la nuit.

Dès l’Alsace-Lorraine, on ne craignit plus l’intrusion des voyageurs : il était tard, le prochain arrêt fort distant. Mme Héloir ferma les paupières de la lampe et, roulée dans une couverture, posa la tête sur un accoudoir. Lysette, en chien de fusil, occupait les deux tiers de l’autre banquette, si bien que Lucienne et Philippe, enfoncés dans leur coin, demeuraient assis, face à face, invisibles et silencieux.