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DEUXIÈME PARTIE

se décourage ; mais on ne croit plus aux phrases pompeuses des gazettes. On s’aperçoit enfin que l’armée ennemie n’est pas détruite, que les uhlans ne se rendent pas pour un morceau de pain, qu’ils tuent bien plutôt les civils, et que, partout après eux, il ne reste que des ruines.

La nuit, des coups de marteau retentissent dans les caves ; des ombres dans les jardins creusent la terre, au clair de lune. On enfouit ses valeurs, puis on reste, dans l’obscurité, à se peindre des tueries : femmes, enfants traînés par des brutes aux mains sanglantes ; fusillades de civils, qu’on achève à coups de baïonnettes ! Le matin, on s’étonne de vivre encore. À peine échappé aux cauchemars du rêve, on retombe à ceux du monde réel, et l’on se sent faible, sans moyen de défense : rien que de la chair souffrante à opposer aux armes des bandits !

Déjà des milliers de fugitifs pleurent dans les rues. Des soldats en sueur traversent la ville pleine de blessés ; des officiers passent en auto, dans un sillage de poussière, et voici que des avions allemands planent autour de Bruxelles, à la manière d’éperviers prêts à fondre sur leur proie…

À la gare du Nord, on s’écrase, on se bat dans les trains, on grimpe sur les toitures des wagons.

Tout le monde se sauve !… C’est la déroute, l’exode éperdu d’un peuple abandonné de tous, trompé jusqu’à la dernière heure, et qui fuit, sans argent ni bagages, vers la misère et les humiliations de l’exil…