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signe certain d’un avenir déplorable. Sur ce point il pérorait avec passion, interminablement. J’attribue ceci à une verrue qu’il avait sur le nez.

Cette verrue était de la grosseur d’un pois chiche, et surmontée d’une petite houppe de poils très-délicats, très-hygrométriques aussi : car j’avais remarqué que, selon l’état de l’atmosphère, ils étaient plus roides ou plus bouclés. Il m’arrivait souvent, durant mes leçons, de la considérer le plus naïvement du monde, comme un objet curieux, sans aucune idée de moquerie ; j’étais, dans ces cas-là, brusquement interpellé, et tancé vertement sur ma distraction. D’autres fois, plus rarement, une mouche voulait obstinément s’y poser malgré l’impatiente colère de mon maître, qui pressait alors l’explication, afin qu’attentif au texte je ne m’aperçusse point de cette lutte singulière. Mais cela même m’avertissait qu’il se passait quelque chose, en sorte qu’une curiosité irrésistible me faisait lever furtivement les yeux sur son visage. Selon ce que j’avais vu, le fou rire commençait à me prendre, et, pour peu que la mouche insistât, il devenait irrésistible aussi. C’est alors que M. Ratin, sans paraître concevoir le moins du monde la cause d’un pareil scandale, tonnait contre le fou rire en général, et m’en démontrait les épouvantables conséquences.




Le fou rire est néanmoins une des douces choses que je connaisse. C’est fruit défendu, partant exquis. Les harangues de mon maître ne m’en ont pas tant guéri que l’âge. Pour fourire avec délices, il faut être écolier, et, si possible, avoir un maître qui ait sur le nez une verrue et trois poils follets :