prolonger le mieux que je ressentais, en me représentant les détails de la culture auxquels j’avais assisté souvent à cette place même : les hommes bêchant au soleil, les femmes cueillant des légumes, les enfants arrachant les mauvaises herbes, toute une idylle enfin. Seulement j’évitais de songer aux arrosements, crainte de songer en même temps à la grande roue, qui dans ce moment ne gesticulait pas bien loin de moi.
Et puis, j’étais sous la voûte du ciel, qui seule, durant la nuit, n’inspire point de frayeur. J’avais autour de moi de l’espace et quelque clarté. S’il vient, pensais-je, je le verrai venir.
S’il vient ! Attendiez-vous quelqu’un ? — Sans aucun doute. — Et qui ? — Celui qu’on attend quand on a peur.
Et vous, n’eûtes-vous jamais peur ? Le soir, autour de l’église, à l’écho de vos pas ; la nuit, au plancher qui craque ; en vous couchant, lorsque, un genou sur le lit, vous n’osiez retirer l’autre pied, crainte que, de dessous, une main… Prenez la lumière, regardez bien : rien, personne. Posez la lumière, ne regardez plus : il y est de nouveau. C’est de celui-là que je parle.
Je restais donc immobile au milieu de cette plaine ; mais déjà l’idée de l’espace que j’avais autour de moi, après m’avoir soulagé, commençait à influer sur mon esprit d’une manière fâcheuse, non pas tant en avant, où rien ne pouvait échapper à mes regards, mais derrière, de côté, et partout où ils ne plongeaient pas ; car, quand on le sent venir, c’est toujours du côté où l’on ne regarde pas. Je me tournais donc souvent, et subitement, comme pour le surprendre ; puis je me retournais bien vite, pour ne pas laisser l’autre côté