Un trait singulier, étrange, peint bien, ce me semble, la situation d’âme où se trouvait mon ami vers cette époque, et donne l’indice des tumultueux mouvements qu’y entretenait une dévorante amertume. Un jour que nous nous promenions ensemble, deux voix de femmes, accompagnées de la harpe, se firent entendre à quelque distance. Henri, sur qui la musique exerçait en tout temps beaucoup d’empire, s’arrêta pour écouter ; puis il m’entraîna vers le côté d’où les voix semblaient partir. C’était la cour silencieuse d’un riche hôtel. Nous y trouvâmes deux chanteuses de carrefour.
Ces deux femmes chantaient une antique ballade. Il y avait dans leur mise et dans leurs manières un air de décence et d’honnêteté. L’une d’elles, jeune et timide enfant, paraissait être la fille de l’autre. Des cheveux d’un blond pâle et soyeux étaient lissés sur son front bruni par le soleil, de longs cils fauves voilaient son regard modeste, et ses traits présentaient ce mélange de grâce délicate et de sauvage rudesse dont le poétique attrait ne se rencontre guère que chez les femmes ainsi vouées à une vie errante et aventureuse. En voyant sa jeunesse ainsi exposée au regard hardi de la foule, on ne pouvait se défendre d’un sentiment de compassion, et l’on contemplait avec une sorte de mélancolie cette jeune plante abandonnée aux injures de l’air, et fleurissant loin du sol natal, sous la menace des orages du ciel et de l’outrage des passants.
Mais ce qui n’est pour tout autre qu’une fugitive impression suffit quelquefois pour remuer profondément un cœur malade. Debout et immobile à mes côtés, mon ami considérait cette enfant avec une tendre pitié. Aux sons de cette mélodie peu variée, mais douce