mouvement, d’émotion, de pensée ? Après avoir reflété, comme le miroir d’un lac, la fraîche sérénité du matin, les radieuses ardeurs du midi, elle reflète à leur tour les grises nuées, elle se ride sous l’haleine orageuse du vent ; le trouble de la nature y pénètre, et, soulevée alors, elle rencontre au sein même du trouble ces mystérieuses joies qui sont refusées à la torpeur du bien-être.
Pour mieux goûter ces émotions, j’étais demeuré en arrière de mes compagnons. J’aimais à me voir seul dans ce gouffre de la Tête-Noire, battu de la pluie, étourdi par le fracas du torrent, par le bruit des pierres qui descendaient les ravins en s’entre-choquant, par celui de la foudre, dont les éclats saccadés se prolongeaient en grondements majestueux, tantôt lointains, tantôt tout voisins et comme au-dessus de ma tête. La scène était si magnifique, et ma préoccupation si entière, que je fus presque désappointé lorsque je vis près de moi les cabanes de Trient, dont je me croyais encore éloigné. Des rires se firent entendre sur la galerie d’une cabane : c’est le Français qui venait de m’apercevoir. « Il y a du vin ici, me cria-t-il, venez un peu tremper votre eau. » J’entrai dans le chalet.
Les cabanes de Trient sont assises au milieu d’une petite vallée dont l’aspect est frappant et plein de caractère. Cette vallée, qui n’a en aucun sens plus d’un mille de longueur, est si profondément encaissée entre des cimes d’une hauteur immense, que le soleil n’en éclaire le fond que vers le milieu de la journée, et durant un petit nombre d’heures. À l’une des extrémités, le glacier de Trient, pressé entre les parois d’un étroit couloir de granit, fait entendre de sourds craquements, et, ouvert à sa base, il vomit, comme par une gueule