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de la foule d’agréments indispensables dont ce chef-d’œuvre lui assurait la jouissance.

Je trouvai ces messieurs assis non loin des mulets qui prenaient leur ordinaire, et engagés dans une conversation dont le Français faisait les frais pour les dix-neuf vingtièmes au moins. En effet, il venait de traiter à fond toute la question dynastique, celle de la république et celle des doctrinaires ; puis il avait passé à Henri V, et de là aux chamois, à propos d’un coup de carabine qui s’était fait entendre du côté des sommités. Sur ce quadrupède comme sur la politique, son érudition était close, son idée faite, ses axiomes tout formulés ; évidemment il avait étudié son chamois dans les livres d’Alexandre Dumas, de Raoul Rochette et d’autres théoriciens fameux, mais en écolier qui va plus loin que ses maîtres, et pour qui les théories émises ne sont plus bientôt que babioles, tirelires, en comparaison de celle qu’il est venu chercher sur les lieux. Rien n’était plus plaisant que de voir ce pétulant orateur haranguant deux flegmatiques Anglais, trop sensés pour être crédules, trop polis pour contredire, quoique parfaitement assommés d’ailleurs par un babil brisé, rapide, intarissable. Sans se mettre en grands frais d’attention, ils fumaient leur cigare, tout en songeant confortablement en eux-mêmes « combien le nation française été foolish, loquace, et tute habillé comme iune maîter à danser. »

— Messieurs, leur disait le Français, un fait singulier et que vous ne connaissez pas… Je le tiens d’un chasseur qui a tué, en un an, vingt bouquetins et quatre-vingt-dix-neuf chamois, entre autres une fois deux d’un seul coup ; je vous conterai cela après… Un fait qui n’appartient qu’à cette chasse, la seule que je n’aie