forces de mon âme, et que ces larmes que je versais avec tant de douceur étaient celles de cet amour et de cette gratitude profonde qui ne peuvent être sentis que pour celui-là seulement qui tient nos jours en sa main ? Je le bénis mille fois, et le premier sentiment qui succéda à ces actions de grâces fut celui du bonheur que j’éprouverais, après de si vives angoisses, à me retrouver au milieu de ma famille. J’étais tellement impatient d’aller me jeter dans ses bras, que c’est par là que je commençai à ressentir l’inconvénient d’avoir un mélèze attaché à sa personne.
Il était deux heures de l’après-midi. Je n’en avais plus que vingt-trois à attendre. Cet endroit était sauvage, tout voisin des neiges, nullement fréquenté des voyageurs. Au surplus, une personne eût paru dans ces premiers moments, que, tout pénétré encore d’un profond respect pour mes persécuteurs, qui ne pouvaient être fort éloignés, je l’eusse priée, je crois, de ne me délivrer point, de n’approcher pas. Toutefois, vers quatre heures, mon respect avait diminué en raison directe du carré des distances, et en même temps mon mélèze, toute figure à part, commençait à me scier le dos d’une façon étrange : mais je n’en étais guère plus avancé, et je ne voyais plus que le rat de la fable qui pût me tirer de là, lorsque parut un naturel.
Ce naturel était lui-même très-fabuleux. Il avait un chapeau percé, des culottes, point de bas, et, sous le nez, une sorte de forêt noire provenant de l’usage immodéré d’un tabac de contrebande apparemment. — Holà ! hé ! au secours ! brave homme ! lui criai-je. Au lieu d’accourir, il s’arrêta court et huma une énorme prise.
Le paysan savoyard n’est pas cauteleux, mais prudent. Il ne précipite rien, il n’allonge le bras que là où