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Il m’apprit que la jeune fille se nommait Adèle Sénars ; et, je l’avoue, ce nom m’enchanta. Je suis très-sujet à trouver aux noms propres un air commun ou distingué ; et, par un travers d’esprit dont je n’étais pas corrigé, j’aurais préféré mille fois un nom qui ne me déplût pas à des avantages réels de fortune ou de rang. Mais l’aimable nom d’Adèle, outre le charme que j’y attachais déjà, en prit un que les années n’ont pu détruire, parce que, gravé dès lors au plus doux endroit de mon cœur, il rallie à lui les dernières impressions de ma jeunesse, et tout ce que j’ai pu goûter depuis de vrai bonheur.

Mais tout, d’ailleurs, dans ce que m’apprit le pasteur, sans choquer aucun des préjugés qui me sont propres, redoublait mon ivresse et mon contentement. Le père de cette jeune fille était Suisse, ainsi que moi. Entré jeune au service de la marine anglaise, il était parvenu à un grade peu élevé, mais honorable ; et, pendant son séjour en Angleterre, il y avait épousé la mère de mon Adèle. Ceci, en m’expliquant pourquoi j’avais vu sur la table le poëme des Saisons, me semblait prêter à l’air de cette jeune fille cet attrait qu’ont d’ordinaire pour nous les femmes étrangères, et j’aimais à attribuer à son origine anglaise son teint éblouissant, la mélancolique douceur de ses grands yeux bleus, et l’aimable innocence de son front. Depuis quelques années, sa mère l’avait amenée en Suisse pour lui donner à moins de frais une éducation qu’elle envisageait comme sa ressource future ; et, depuis la mort du père, arrivée deux ans auparavant, ces deux dames, réduites à vivre de la modique pension que la loi anglaise assure à la veuve d’un officier mort au service, étaient venues habiter la demeure où le hasard m’avait