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— Monsieur dînera-t-il ?

— Parbleu ! si je dînerai !

— Mais chez lui ?

— Attends un peu ; oui, je dînerai ici.

— Je vais servir.

— Eh bien, non, ne sers pas. Toute réflexion faite, je dînerai en ville.


CHAPITRE II.

S’il vous en souvient, lecteur, nous nous ennuyâmes fort ensemble, lors de notre dernière entrevue. Je vous laissai bâillant, vous me laissâtes allant dîner en ville.

C’était chez un de mes amis, marié, père de famille, aussi heureux et amusé que moi-même je le suis peu. Lui et sa jeune épouse se comblaient d’amitiés, leurs regards s’échangeaient tout remplis d’une vraie tendresse ; et, à bien des petits soins, à mille choses en apparence indifférentes, je pouvais juger de l’étroite union de leurs âmes. L’un aimait le plat que l’autre aimait ; l’un ne buvait pas que l’autre ne bût aussi ; la miette de pain laissée à dessein par l’un était furtivement convoitée, saisie et dévorée par l’autre, de façon que, préoccupés ainsi de leur mutuelle affection, ils ne me parlaient que pour la forme, et je figurais là comme un tiers, tout au plus nécessaire pour introduire du piquant dans leurs innocentes et chastes amours.

Je m’ennuyais profondément, et d’autant plus que je m’ennuyais en dépit de moi-même, contre mon propre vouloir, malgré des conseils intérieurs que je me donnais à moi-même. Sache donc, me disais-je, sache jouir de ce doux spectacle, et, faisant un retour sur