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sante que de voir cette jeune personne, laborieuse à l’âge du plaisir, vouée sans relâche et presque sans récréation à des travaux d’ordinaire étrangers à son sexe, et, toute jeune qu’elle était, subvenant, en commun avec son père, à l’entretien de la famille.




Je ne tardai pas à devenir assez régulièrement matinal, pour ne jamais être exposé à monter seul à mon atelier. Seulement il arrivait quelquefois que, le géomètre ayant assigné l’ouvrage dès la veille, Henriette montait seule. C’étaient mes mauvais jours ; car, craignant de lui causer un embarras que déjà j’éprouvais moi-même, je ne savais mieux faire alors que de hâter le pas si je me trouvais devant elle, ou de le ralentir si je l’entendais monter devant moi.

Une fois établi dans mon atelier, j’attachais un charme singulier à la présence de mon invisible compagne, trouvant une agréable distraction aux moindres bruits qui me peignaient son pas, son geste ou ses divers mouvements. Aussi, quand l’heure des repas l’appelait à descendre, j’éprouvais une impression d’isolement et d’ennui, de façon que, peu à peu, je m’habituai à m’absenter aux mêmes heures qu’elle.

Au milieu de mes nouvelles distractions, une circonstance me revenait souvent à l’esprit. Les premiers jours, avant mes habitudes matinales, il lui était arrivé quelquefois de chanter une petite ballade durant ses longues heures de travail ; et puis ce chant avait cessé tout à coup, et justement à l’époque où j’avais commencé à l’écouter avec un plaisir plus grand. Était-ce hasard ? était-ce à mon intention ? M’avait-elle assez remarqué déjà pour s’imposer cette réserve ? Cette réserve indi-