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de se fâcher, avait repris la chaîne de son raisonnement là où il l’avait laissée ; et, s’étant confirmé dans l’idée que le délire continuait, il avait pris l’attitude d’un observateur finement attentif. Sans tenir aucun compte du sens de mes paroles, il étudiait avec sagacité, au geste, à l’altération de la voix, au feu de mes regards, la nature et les progrès du mal, notant dans son esprit jusqu’aux plus petits symptômes pour les combattre ensuite.

— Il a ôté l’emplâtre, dit-il tout bas. Jules !

— Quoi ?

— Couche-toi, mon ami ; couche-toi, Jules ; fais-moi ce plaisir. Et, tout bien considéré, je me couchai, songeant qu’il m’était devenu impossible de prouver à mon oncle que je n’étais pas fou, à moins de lui avouer mon secret, ce qui, dans ce moment, aurait ruiné tout mon projet, sans lui prouver que je fusse sain d’esprit.

— Et voici une boisson que je t’apporte. Bois, mon ami, bois.

Je pris la fiole ; et, faisant semblant de boire, je laissai couler le liquide entre le lit et la muraille. Mon oncle m’entoura la tête d’un mouchoir à lui, me couvrit jusqu’aux yeux ; ferma les rideaux, les volets, et tirant sa montre : — Il est trois heures, dit-il ; il doit dormir jusqu’à dix heures : à dix heures moins vingt minutes, ce sera le moment de descendre. Et il me quitta.




Épuisé de fatigue, je dormis quelques instants ; mais bientôt l’agitation me chassa de mon lit, et je m’occupai des préparatifs de mon projet. Je fis un mannequin aussi semblable à moi qu’il me fut possible, je lui entourai la tête du mouchoir de mon oncle, je le couvris