là un si triste tableau qu’il faille en détourner les yeux, et faut-il tant de force pour en soutenir la vue ?… Lucy, pourquoi ces larmes ?… Voyez, tâchez de voir comme moi, mon enfant… et nos jours seront paisibles, et nous en goûterons les joies jusqu’au dernier terme… et ce malheur, bien moins grand lorsqu’on a pu l’envisager en face, ne se grossira pas de tout ce que l’imagination, les fausses terreurs, une inutile résistance, y peuvent ajouter de sinistre et de terrible… Pardon, monsieur, ajouta-t-il, c’est notre sujet de guerre avec ma Lucy ; et, sans ce portrait qui m’a ramené vers ces idées, je n’eusse pas pris la liberté de renouveler ici les hostilités…
J’écoutais avec ravissement ces paroles, qui, tout en m’apprenant tant de choses, paraient encore cette jeune fille d’un attrait de mélancolie et de filiale tendresse. Quoi ! pensais-je, ces beaux chevaux, ces laquais respectueux, cette calèche, tout ce luxe, tant de sujets de joie ou de vanité ! et la reine de ces choses, les yeux mouillés de larmes, qui s’attriste à l’idée de ne pas se dévouer pour toujours à son vieux père !
Ce jour même, le portrait vint à la galerie. C’était une simple ébauche, où je reconnus sans peine le beau vieillard. Il occupait la gauche du tableau ; sur la droite, un grand espace laissé vide produisait à mon sens un très-mauvais effet.
Mais, dès la seconde séance, le tableau ayant été retiré de la galerie, bien que cette fois la jeune miss fût venue seule, je me confirmai dans l’idée que l’espace vide lui était réservé et que j’allais enfin contempler ses traits.