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dans cette galère ? » Et il rit pour lui et pour tout le monde. Abrantès ! pensons-nous et disons-nous tout bas.

Abrantès, c’est, comme tapâtes, un mot de récente formation. C’est l’abréviation de qui a lu les Mémoires de la duchesse d’Abrantès, et ceci pour qui est à jour de mémoires, billevesées, fariboles à la mode, qui est farci de citations indigestes, de trivialités courantes, de bêtises usuelles ; esprit de café, de diligence, de table d’hôte surtout, esprit vulgaire et pourtant vaniteux, esprit à fleur de fête, avec des lunettes de myope, du linge commun, des boutons d’or et un œillet à la boutonnière. Et, pour le dire en passant, jamais la France, l’Europe, le monde n’a été aussi Abrantès qu’il l’est aujourd’hui. C’est l’effet des mémoires, des feuilletons, des gazettes et revues de toute espèce, qui ont tellement épaissi l’esprit et aplati l’instruction, que chacun peut se procurer un morceau de l’un ou une feuille de l’autre à aussi vil prix qu’il peut se procurer du jus de réglisse ou des allumettes phosphoriques.

Sur ce, il faut aller dormir. Les brigadiers, ce soir, nous laissent tranquilles, mais non pas un excellent monsieur, qui, dans la chambre voisine, se mouche avec obstination, avec fureur. S’étant aperçu qu’il est écouté, il se mouche moins, mais il murmure d’autant plus, et deux ou trois fois il est sur le point de nous apostropher directement. Enfin, n’y pouvant plus tenir : « Ces rires, de quelque part qu’ils viennent, sont de la dernière indécence ! » s’écrie-t-il avec la plus comique indignation.