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giles, si impures ; le bonheur même, là où il réside, est si passager, menacé de si prés, si certainement suivi de déclin, de regret et d’amertume, qu’à considérer même au point de vue temporel et terrestre la part que ces hommes se sont choisie, il se peut encore qu’elle doive compter parmi les bonnes. Au lieu de mourir comme nous par degrés et avec tant de douleur et de déchirement à chaque signe, à chaque annonce, à chaque appel que veut bien nous adresser à l’avance la reine du sépulcre, ils meurent, eux, tout d’une fois, le jour où, renonçant au monde et à ses fêtes, ils s’en viennent apporter ici un cœur guéri d’ambition et vide de désirs. Des pratiques austères, des habitudes uniformes, la promenade, les repas, le sommeil, remplissent dès lors leurs heures, et après avoir végété paisibles pendant dix, vingt années, ils accueillent la mort comme on fait un larron qui n’a rien à vous voler.

Après que nous avons pris quelque repos, le père dom Étienne nous fait voir l’intérieur du couvent. Nous visitons le réfectoire, la bibliothèque pillée dans la révolution et dont nous retrouverons les richesses dans la bibliothèque de Grenoble ; enfin, curieux que nous sommes de connaître l’habitation d’un Chartreux, dom Étienne souscrit à notre désir en nous introduisant dans une cellule, vide à la vérité, mais absolument semblable aux quarante-deux cellules qui sont habitées dans ce moment. C’est un petit appartement de deux étages, propre et commode, qui ouvre d’un côté sur le corridor, de l’autre sur un petit jardin clos de murs dont le Chartreux a la disposition. Des fenêtres de la cellule on ne peut voir que ce jardin et la cime des montagnes qui enserrent la vallée.