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homie, nous fait la conduite jusqu’au-dessus des hauteurs ; puis, après qu’il nous a introduits dans le désert, il prend congé et s’en retourne à ses affaires.

Nous venons, en effet, d’entrer dans un pays de pierres, dans une Arabie plus pétrée encore que l’autre, sans pâturages, sans végétation, hormis ci et là un figuier solitaire qui confit abrité sous des roches grillées, quelques bouts d’herbages où paissent des moutons maigres. Néanmoins, libres que nous sommes désormais, et tout réjouis de n’avoir plus à auner nos étapes, ni à restreindre ou à prolonger nos haltes au gré d’un cocher soucieux, nous cheminons avec bien plus de gaieté qu’à l’ordinaire, et, réunis tout à l’heure en assemblée souveraine, nous votons à l’unanimité qu’à l’avenir plus de voiture de secours ne nous accompagnera dans nos excursions.

De Grasse à Saint-Vallier, où Bonaparte déjeuna sous l’ombrage d’un gros tilleul, nous ne rencontrons qu’une caravane de messieurs à cheval et une petite fille qui vend des figues exquises. Mais de quoi donc déjeuna Bonaparte ? Pour nous, nous déjeunons de lait de chèvre, de débris de viande, de café limoneux, le tout si rare, si rare, que nous ressemblons bien plutôt à des gens qui jeûnent qu’à des convives qui déjeunent.

Il s’agit ensuite de pousser jusqu’à Castellane, qui est la sous-préfecture du pays ; mais le soleil est déjà près de se coucher que nous en sommes encore bien éloignés. Heureusement que dès Saint-Vallier on nous a dit : « Arrêtez-vous chez mademoiselle Marie, là vous aurez tout ce que vous voudrez ». L’avant-garde s’arrête donc chez mademoiselle Marie : c’est une