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le cœur se sent soulevé par l’auguste splendeur du spectacle ! C’est ici que non plus des velléités de poëme ou d’églogue se présentent à l’esprit, mais que l’âme tout entière, par un facile et délicieux essor, ouvre ses ailes, plane, tournoie suspendue entre les cieux et la terre, et comme envolée pour quelques instants hors de sa demeure corporelle ! Et toutefois, lac d’Annecy, humbles rivages, côtes prochaines, si vous êtes moins faits pour provoquer ce puissant essor d’un moment, vous l’êtes mieux pour charmer à la durée et pour combler par l’aimable douceur de votre paisible commerce le vide des heures et la longue oisiveté des journées.

La route, ici, n’a pas dix pieds de large, et voici qu’on aperçoit à l’avant une grosse caisse éreintée qui monte à la rencontre de la nôtre. Grande alarme, cris et signaux des deux parts. L’on choisit son terrain, l’on unit ses efforts, les deux caisses se caressent d’aussi près que possible, mais enfin tout vient à point ; après quoi l’on se regarde. Eh mais !… c’est bien lui, lui-même, le coche que vous savez !


Femmes, moines, vieillards, tout était descendu ;
L’attelage suait, soufflait, était rendu.


Seulement, ici, le moine, c’est un pénitent blanc, et au lieu de six forts chevaux, ce sont quatre haridelles grises ! Qu’importe ! la ressemblance n’en est pas moins frappante ; car c’est le propre des grands peintres d’avoir su se choisir dans leurs tableaux les trois ou quatre traits par