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en forme que l’huile de noix la plus grossière est supérieure mille fois à ce pur quinquet dont ils oignent leur poisson et parfument leurs fritures.

En général, sous ce beau climat, les gens vivent, jasent, travaillent dans la rue, et c’est ce qui fait paraître si vivantes ces bourgades d’ailleurs pauvrement peuplées. L’on y voit, dans la soirée surtout, des groupes animés qui occupent le milieu de la rue, des vendeuses, des fileuses entourées d’enfants et d’oisifs qui sont assises sur le seuil des maisons ou devant leurs échoppes ; tous ont des figures hâlées, expressives, et, pour parler, ils crient, gesticulent, se démènent. Bien que passablement actifs et industrieux, plusieurs sont vêtus de dégoûtants haillons, quelques-uns portent les livrées du vice ou de l’inconduite, et au milieu de ces dehors si propres à faire ressortir les agréments d’une mise fraîche et engageante, quelques jeunes femmes, belles de figure et parées de propreté, brillent d’un charmant éclat. La mer les pourvoit abondamment de menu poisson, et sur les échoppes dont j’ai parlé l’on voit étalés les plus beaux fruits du monde. À cause de la nouveauté, nous donnons sur les grenades ; c’est pourtant un fruit médiocre. Les raisins, d’une grosseur gigantesque, sont exquis et pour rien. En revanche, il en coûte pour affranchir les lettres, et d’une douzaine que nous avons portées à la poste, qui se trouve être administrée par un épicier absent, nous n’en livrons que le tiers, tant est énorme la somme qu’on réclame pour chacune.

Nous quittons Finale chargés de grappes énormes : on dirait quelque parti d’amateurs rejoignant le papa Silène assoupi là-haut dans ces grottes. Au sortir du bourg, la route s’élève par de nombreux zigzags sur le promontoire dont j’ai parlé, et pendant que nous cheminons rafraîchis et distraits par la vendange, nos pauvres chevaux gravissent au soleil de midi ces roides pentes, sans autre renfort que celui de deux mendiants qui, s’attelant volontairement à la roue, font plus de bruit que de besogne. Après quoi, comme la mouche, ils s’essuient le front et demandent leur salaire.

Il est beau, ce promontoire de Finale ! et là-haut plus d’arbres, plus de culture. En revanche, cette sauvage nudité, dont le mélancolique caractère se marie si bien avec celui de la mer, nue aussi, immense, sombre, sujet de mille images, de mille rêveries, où se berce avec volupté la pensée. Lac d’Annecy, humbles rivages, côtes prochaines, où êtes-vous ! C’est ici que plus vaguement, mais plus puissamment aussi,