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de là le lac, ses belles rives, un amphithéâtre de monts, ici sévères et sourcilleux, là onduleux et pleins de douceur. Au surplus, de tout temps les religieux eurent la main sûre pour le choix de leurs retraites. Que si l’on trouvait dans celle-ci des reclus livrés à la paix austère du cloître, au calme d’une vie pieuse et, contemplative, elle aurait pour le touriste tout le charme d’un poétique asile… mais des pères qui goûtent du beurre et pèsent des volailles, mais une odeur de sauces qui vous poursuit jusque dans l’église, mais des fainéants bien nourris au milieu de populations laborieuses et pauvres, ce sont choses qui choquent l’esprit et qui ne satisfont guère le cœur.

À quelques pas du couvent se trouve une fontaine intermittente que nous allons visiter. Sous la nuit d’une voûte de châtaigniers l’on aperçoit un bassin naturel, qui tantôt est complètement à sec, et qui tantôt déverse par-dessus ses bords mousseux le superflu d’une onde fraîche et limpide, selon le caprice de la naïade qui préside à cet aimable jeu. Au moment où nous arrivons, le bassin vient d’être rempli, mais la source ne jaillit plus du rocher, et l’on n’entend que le léger murmure de l’eau qui glisse sur les cailloux. C’est aux savants de rechercher et de dire la cause de ce phénomène ; pour moi, je ne veux pas savoir, tant j’aime mieux, avec les ignorants qui visitent cette source, ou encore avec les poëtes qui la contemplent, m’abreuver à ce mystère que de l’avoir sondé.

C’est encore une question de savoir si la science et la poésie sont deux sœurs qui peuvent, l’une rêveuse et en main la quenouille, l’autre inquiète et incessamment occupée de peser, de piler, de filtrer, vivre en bonne