ne les évite pas plus que l’on ne peut éviter son ombre en plein soleil. On ne s’en débarrasse pas plus aisément qu’on n’écarte les mouches d’un pot à miel ou d’une tartine au sucre.
La patrie du cicerone, c’est l’Italie. Le peuple y naît cicerone, le gueux y est antiquaire, la grande place y fourmille d’archéologues borgnes, boiteux ou manchots. Que si, l’air touriste, voyageur, ou seulement transalpin, vous paraissez au coin de cette grande place, c’est fait de vous ! tous ces archéologues vous ont vu, tous vous ont flairé, tous veulent avoir l’honneur… Prenez-en vite un, ou bien vous en aurez douze.
Que si, au contraire, pour échapper à ces obsessions vous évitez la grande place et prenez par le boulevard extérieur, peine perdue ! Le premier chétif, le dernier va-nu-pieds qui vous a vu vacant encore, se constitue votre homme, et avant que vous ayez eu le temps d’y regarder, il vous a déjà fait voir l’histoire romaine sur une borne et Raphaël dans une enseigne. Laissez-le faire, et qu’au moins cet officieux, presque toujours drôle à observer, non pas comme cicerone, mais comme figure populaire, vous tienne lieu d’un cicerone en titre, qui n’est drôle ni d’une façon ni d’une autre.
Nous dînons à l’hôtel Féder en compagnie d’une centaine de convives de toute sorte : des discrets et des bavards, des quant à eux et des tout à tous, des gourmés et des bonhommes, sans nous compter nous-mêmes, qui apportons à cette grande table notre tribut de mouvement et de diversité. Du reste, le cordeau de la table ne nous offusque guère, et la somptueuse symétrie des mets nous va à merveille, à la condition d’y porter le ravage et la destruction. Pour dessert, nous nous rendons en corps au théâtre, où l’on joue Zampa très-médiocrement. Vient ensuite le ballet, qui est cette fois sans Grecs ni Turcs. Il s’agit tout simplement d’une charmante petite dame indignement abandonnée dans une charmante petite grotte où elle élève un charmant enfant sur une jolie feuille de palmier. Cependant la forêt est remplie de brigands sauvages et de bêtes féroces, en sorte que ces êtres intéressants courraient deux affreux dangers par minute sans l’intelligente et paternelle vigilance du singe le plus moral, le plus dévoué, le plus magnanime qui fut jamais. Ce singe tue les serpents, écarte les crocodiles, déjoue les brigands, et finalement remet aux mains d’un mari, jadis coupable, aujourd’hui pénitent, son épouse plus pure que jamais, et à qui l’air de la forêt a donné une carnation et un embonpoint ravissants. Au milieu de tant de joie, l’on danse, quoi de plus naturel ? et les pas de deux, les entrechats, les pirouettes expriment éner-