Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent, se heurtent : ce n’est plus qu’un tourbillon universel, qu’un trotte-menu général, et au milieu une pendule sinistre qui, sur un timbre lugubre, sonne l’heure et la resonne tranquillement, comme si de rien n’était. À la fin la clef est retrouvée, le vin est tiré, le coq arrive, et le repas commence.

Il y a coq et coq ; celui-ci, ankylosé de tous ses membres, défie tous les efforts qui sont tentés pour le désarticuler, en sorte que, ne pouvant en venir à bout, M. R***, tout trempé de sueur, le livre à la circulation, en prétendant ironiquement que c’est à chacun d’en tirer pied ou aile. Malheureusement c’est justement là qu’est la difficulté, aussi l’horizon commence-t-il à s’assombrir, lorsque entrent une soupe qui a cuit chez le voisin, un gigot retrouvé dans le buffet, et quatre saladiers de pommes de terre !… À cette vue… à la vue des saladiers… le soupçon plane, la défiance s’éveille, puis le fou rire vient, et l’appétit a le dessus.

La dernière opération c’est de faire nos lits. L’on commence par couper les cierges par le milieu afin d’en doubler le nombre ; puis on se répand dans les chambres pour y disposer en grabats tout ce qui s’y rencontre. L’usage de la maison, c’est de tenir les fenêtres dans les armoires, pour ne pas exposer les vitres. On va donc quérir les fenêtres, puis les chevilles pour les ajuster sur leurs gonds, et l’assemblage se fait pendant que les amateurs admirent les ouvrages d’art qui sont appendus aux murailles, notamment le portrait de la Reine de Hongrie et la vue du jardin du gouverneur de Pondichéry, qui fait plaisir à cause de l’à-propos. Bientôt tout se résume en un sommeil général.