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Il pleut toujours. Parmi ce déluge, voici coulé notre projet du Faulhorn, et, en attendant des temps meilleurs, nous allons déjeuner. Comme nous sommes à l’œuvre, entre un grand pekoe, accompagné de sa colossale épouse et de ses deux fortes jumelles. Celui-ci, pur sang, porte sous un bras la boîte à thé, sous l’autre la théière, et après qu’ils se sont placés, l’infusion commence au milieu d’un silence du plus haut John Bull. C’est à cette minute précisément que le petit bonhomme se montre sur le seuil. Il s’en vient en négligé du matin faire son tour de salle, puis, tout en fredonnant entre l’ut et le mi, il crache par terre… Un pourpre sublime monte alors au visage des Anglais, et durant que le grand pekoe pur sang, déjà apoplectique de fureur intime, fait mine de vouloir « boxer tute suite cette petite malpropeer, » bien vite la colossale épouse a jeté une serviette sur l’immonde salive. Et c’est vrai que pour se permettre avec une sorte d’aimable aisance la dégoûtante incongruité de cracher par terre dans une salle à manger, il faut être ou commis voyageur ou peut-être, comme notre héros, vicomte.

Malgré la pluie, vers dix heures la plupart des touristes qui se trouvent à Meyringen s’apprêtent à partir, et nous-mêmes, chargeant nos havresacs sur nos épaules, nous voici tout à l’heure sur la route de Brienz. Audaces fortuna juvat. À peine sommes-nous en route que le beau