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basané, et ses cils fauves ombragent un regard à la fois sauvage et timide. Potter, où êtes-vous ? car c’est ici ce que vous aimez ; et en effet, dans une pareille figure, ainsi peignée, ainsi accoutrée, ainsi indolente et occupée, pauvre et insouciante, respire dans tout son charme la poésie des champs. Mais, cette poésie, il faut un maître pour l’extraire de la belle, vivante et vraie tout à la fois ; sans quoi vous aurez ou bien une Estelle à lisérés, qui ne rappelle que romances et fadeurs, ou bien une vilaine créature, qui ne remue que d’ignobles souvenirs.

Plus loin c’est un bon curé qui, la robe ouverte, le tricorne sur l’œil et le fusil en bandoulière, s’en va à la chasse en compagnie de deux paroissiens et de trois chiens courants. À leur air de fête et de gaillardise, ces camarades font envie ; sans compter qu’ils vont dans les bois se pourvoir tout ensemble d’un appétit d’enfer et d’une chère de chanoines. Nous saluons. Bientôt ils tirent sur la droite, et l’on n’aperçoit plus que leurs têtes qui dépassent les hautes herbes d’une prairie marécageuse.

Plus loin… c’est Tourtemagne, et le déjeuner qui est tout prêt ; nous aussi. Pendant que le chien a cessé son vacarme pour s’étendre en travers du seuil ; pendant que les reflets du soleil de dehors réjouissent la salle et dorent la nappe, nous procédons paresseusement aux douceurs de ce repas. Ce n’est pas ici sans doute cette faim canine des Mayens, attisée par trois heures de marche montante derrière un roussin chargé de cruchons et de viandes froides ; mais c’est un plaisir d’autre sorte, moins