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lorsqu’on s’est approché de cette colonnade, on lui trouve de l’élégance et de la grandeur, sans compter quelque mystère qui plane sur la formation d’un pareil phénomène au beau milieu d’un champ, et à une grande distance de la rivière. Aussi les gens du pays sont fournis de traditions à ce sujet, et, selon eux, le diable est pour plus de moitié dans la chose.

Le brouillard s’est enfin dissipé, et un pâle soleil éclaire la campagne environnante au moment où nous quittons les pyramides d’Useigne. Mais du côté du Ferpècle tout est sévère, lugubre, et c’est sur les violâtres noirceurs d’un ciel orageux que se dessine le profil illuminé des forêts prochaines. Pour le regard, ce contraste est toujours beau ; pour l’âme, il y jette je ne sais quel doux tumulte, comme si elle demeurait partagée entre l’attente d’un courroux redoutable et celle d’une sévérité désirée. Si l’on marche surtout, si la distance à parcourir est grande, si l’on s’avance vers un gîte perdu au fond de quelque gorge sauvage, ces impressions sont plus vives encore, et il n’est pas un tremblement des feuilles, pas un frisson des herbes, pas une haleine venant à souffler des hauteurs qui n’arrive aux sens comme un présage de tempête, au cœur comme un flot de mélancolie. Vienne la pluie alors, elle vous surprend recueilli déjà, abrité en vous-même, et c’est à peine si ses atteintes vous distraient des rêveries où se berce votre pensée.

Vers Useigne, il s’agit de passer un ruisseau en s’aidant à cet effet de quelques rameaux jetés par-dessus les bouillons. Pour tous la chose réussit il merveille, excepté pour Martin Marc. Ce voyageur, à l’exemple de ceux qui l’ont précédé, met bien le pied sur les rameaux ; mais, surpris dans