bien dans leur langage, ajoute-t-il, qui est clair, discret, et d’une constante propriété. Aussi trouvé-je toujours du plaisir à m’entretenir avec eux des choses qui sont à leur portée. »
De cette observation attentive du langage campagnard et paysanesque, combinée avec beaucoup de lecture, de littérature tant ancienne que moderne, tant française que grecque[1], est résulté chez Töpffer ce style composite et individuel que nous goûtons sans nous en dissimuler les imperfections et les aspérités, mais qui plaît par cela même qu’il est naturel en lui et plein de saveur. C’est ainsi qu’on écrit dans les littératures qui n’ont point de capitale, de quartier général classique ni d’Académie ; c’est ainsi qu’un Allemand, qu’un Américain ou même un Anglais use à son gré de sa langue. En France, au contraire, où il y a une Académie française et où surtout la nation est de sa nature assez académique, où le Suard, au moment où on le croît fini, recommence ; où il n’est pas d’homme comme il faut, dans son cercle, qui ne parle aussitôt de goût ; où il n’est pas de grisette qui, rendant son volume de roman au cabinet de lecture, ne dise pour premier mot : C’est bien écrit, on doit trouver qu’un tel style est une très grande-nouveauté, et le succès qu’il a obtenu un événement : il a fallu bien des circonstances pour y préparer. Nous supplions seulement qu’on ne l’imite pas, et qu’on n’aille pas faire un genre littéraire, une école, de ce qui, chez le libre amateur génevois, a été précisément l’absence d’école et une inspiration forte et combinée.
- ↑ Ce n’est pas sans dessein que j’indique la littérature grecque, car Töpffer était helléniste ; il a même donné un édition des Harangues de Démosthène, et il se souvient évidemment du grec dans cette phrase de ses Voyages en zigzag, par exemple : « C’est là mieux qu’ailleurs ( dans une excursion en commun du maître avec ses élèves ) qu’il dépend de lui, s’il veut bien profiter amicalement des événements, des impressions, des spectacles, et des vicissitudes, de fonder de saines notions dans les esprits, de fortifier dans les cœurs les sentiments aimables et bons, tout comme d’y combattre, d’y ruiner à l’improviste, et sur le rasoir de l’occasion, tel penchant disgracieux ou mauvais. »