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Les réveillés se lèvent, s’habillent, descendent, et, après avoir déposé leurs havre-sacs entre les mains de madame Muston, qui nous les fera parvenir à Viége, ils se présentent à l’appel, la pique en main, un saucisson en bandoulière : c’est une toile cirée dans laquelle chacun a enroulé ce qu’il lui faut de hardes pour une expédition de trois ou quatre jours. Ainsi allégés, nous prenons congé, le roussin part, les mules s’acheminent, la foule s’ouvre, et la pluie cesse de tomber ; mais en même temps le vent s’est tu et plus rien ne souffle. Aussi à peine avons-nous commencé à gravir que voici venir des suées soudaines, gigantesques ; des suées à fil et sans correctif de sécherie ni d’évaporation.

Le sentier qui conduit aux Mayens serpente le long de rampes, ici cultivées, là boisées médiocrement, en sorte que la vue y étant ouverte de tous côtés, l’on y change de spectacle à chaque tournant de zigzag. Par malheur ce spectacle est à cette heure plus morne encore que magnifique. En effet, les nuées, qui se sont abaissées jusqu’aux croupes inférieures des montagnes, forment comme un dais continu de grise toile tendu d’un bout à l’autre de la longue vallée du Rhône, et, blotti là-bas contre son rocher nu, Sion semble être la déserte capitale de quelque terre abandonnée aux solitaires déprédations du fleuve. Tout à l’heure nous perçons ce dais de nos têtes, et, enveloppés nous-mêmes dans l’épaisse brume, le ciel et la terre échappent pareillement à nos regards.