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entre tes flancs colossaux qui, pour se faire place, remuent des montagnes, et cette petite fleur qui vit heureuse à ton ombre ; entre l’horrible craquement de tes immenses vertèbres, et ces chevreaux qui, jusque sous l’arche béante de ta rugissante gueule, s’en vont nonchalamment brouter l’arbuste ou se désaltérer au flot. L’églogue est mourante, l’idylle s’est évanouie au milieu des fadeurs de la pastorale ; que n’essaient-elles de se refaire au souffle vivifiant des montagnes ? que ne vont-elles chercher, là où on les rencontre encore, les charmes ailleurs effacés de la simplicité, de la solitude, de la contemplation, le commerce ailleurs gêné ou redevenu impossible de la nature ?

Vers deux heures nous arrivons à ces chalets de Bar. Ils sont habités par quelques vachers gras, velus, sauvages, qui, uniquement occupés des procédés de leur industrie fromagère, semblent ignorer les villes, le monde, l’univers et jusqu’aux touristes. En dedans comme en dehors de leurs huttes, tout est profondément embraminé, leur personne aussi. Nous demandons du pain, ils nous coupent à grands coups de hache des quartiers de granit ou de quartz qui défient toutes nos morsures ; du vin, c’est une sorte de vinaigre tourné qui n’a point de nom. La hutte elle-même, basse et misérable, ne renferme ni lit, ni foin, ni table, ni siége,