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Quelle cuisine ! et comment oublier qu’à si peu de frais on ait pu faire un si délicieux festin ! Bien des endroits nous seront devenus chers à quelque titre pareil, et, tout vilain qu’il est, il vivra éternellement dans nos cœurs, ce Châtel-Saint-Denis, où nous tombâmes un jour sur un long convoi de gâteaux sortant du four.

Cependant, arrivés au sommet, un magnifique spectacle s’est déroulé à nos regards : à gauche, la chaîne du mont Blanc, tout un chaos de glaces pâlissantes, d’arêtes noires, de mouvantes vapeurs ; à droite, et sur une nue sombre et tonnante, la dentelure empourprée des Aiguilles Rouges ; au ciel, tous ces signes d’orage qui font pressentir le bienfait d’une ondée et la prochaine gloire du couchant. Toutefois notre attention n’est pas toute pour ces splendeurs, et, avec les hommes du pavillon, nous suivons des yeux deux Anglais qui se sont aventurés, contre l’avis de leur propre guide, à gagner le glacier du Tour en longeant obliquement les sinuosités d’une pente roide et rocailleuse. Bientôt l’œil ne peut plus les suivre : une lunette est dressée ; et à voir alors ces deux obstinés, qui, suspendus, père et fils, sur un effroyable abîme, persévèrent dans leur périlleux voyage, l’inquiétude finit par devenir instante, aussi bien que gratuite. Nous quittons le col.

Mais à peine avons-nous perdu de vue ces deux fous qui bravent étourdiment de si visibles périls, que nous voici dans le cas de délivrer une femme de chambre anglaise d’un danger qu’elle ne court pas du tout. Cette bonne demoiselle s’est allée mettre en tête qu’une vache qui la regarde est un taureau qui la poursuit, en sorte que, pâle et immobile, elle en est à