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vote à l’unanimité que c’est bien là le déjeuner classique du piéton. Sur ces entrefaites, arrivent Poletti et Canta tout rouges de hâte et les poches pleines d’aventures à raconter. Pendant qu’ils prennent leur repas, les artistes se sont mis à l’œuvre ; d’autres s’en vont faire un feu au pied du rocher voisin, et Léonidas en pleurs cherche partout dans le pâturage son coco perdu et son numéraire envolé : c’est cinq francs.

Après le col de la Forclaz, c’est le col de Balme que nous voulons franchir. Laissant donc sur la droite le beau passage de la Tête-Noire, nous remontons la vallée de Trient jusqu’à ce que nous ayons atteint les pentes du bois Magnin ; pentes rapides mais ombreuses, humides, zigzaguées, et où une multitude de spéculations abréviatives s’offrent aux marcheurs entreprenants. Canta les entame toutes à la fois, s’y embrouille, s’y attarde, et finit par faire la moitié de sa route pendu aux racines, à cheval sur des troncs gisants, ou rampant à plat ventre le long des gazons trop rapides. Il faut pour spéculer non pas seulement de l’ardeur, mais de l’expérience et du coup d’œil : alors c’est un vif amusement, et quelques-uns de nos anciens, passés maîtres dans cet art, font vraiment de très-élégantes prouesses. En plaine, l’occasion de spéculer se présente rarement ; en montagne, presque toujours, et si à la précaution préalable de s’être bien orienté on unit l’intelligence des roches et des terrains, la connaissance des traces et des signes, l’instinct des approches et le pressentiment des obstacles, l’on peut sans danger s’amuser à résoudre des problèmes de communication qui autrement, en menant tout droit sur le