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rapproche de celui employé par les animaux et soit peu efficace, n’a rien d’insensé ni de contradictoire. Mais il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de justifier ces procédés. Dès que les gens qui organisent notre vie, veulent excuser ces actes par une argumentation raisonnable, il devient indispensable d’échaffauder des inventions ingénieuses et complexes afin de masquer l’ineptie d’une pareille tentative. Le moyen principal de justification est de citer l’exemple d’un brigand imaginaire qui torture et assassine des innocents devant nous.

« Vous pouvez vous sacrifier en vertu de votre conviction sur l’illégalité de la violence, mais cette fois vous sacrifiez la vie d’un autre, » disent les défenseurs de la violence. Mais d’abord, un tel brigand est un cas exceptionnel ; bien des gens peuvent vivre des centaines d’années sans rencontrer un brigand qui tuerait des innocents devant eux. Pourquoi baserai-je les règlements de ma vie sur cette invention ? En envisageant la vie réelle et non pas des inventions, nous apercevons tout autre chose. Nous voyons des gens, et nous-mêmes, accomplissant les actions les plus cruelles, et cela non pas isolement, comme ce brigand imaginaire, mais en commun avec d’autres personnes, et non pas parce que nous serions des malfaiteurs comme le dit brigand, mais parce que nous nous trouvons sous l’influence de la superstition suivant laquelle la violence est légitime. Ensuite, nous voyons que les actions les plus cruelles viennent non pas du brigand imaginaire, mais de gens qui fondent leur conduite sur l’existence imaginaire de ce brigand. De sorte que l’homme qui réfléchit reconnaîtrait que la cause du mal ne réside nullement en ce brigand imaginaire, mais dans la cruelle erreur