à dessein, quand, parlant de lui, il prend la foule pour témoin. Relisez ces lignes significatives de son véhément meà culpà:
« Je ne puis me souvenir de ces années de ma vie sans horreur, dégoût, douleur. Je tuais des hommes à la guerre, je les provoquais dans la même intention en duel ; je perdais aux cartes, je mangeais le produit du travail de mes serfs ; je châtiais les moujiks; je m’adonnais à la débauche. Mensonge, vol, luxure, ivrognerie, brutalité, assassinat..., il n’est pas de crime que je n’aie commis, et, pour tous ces actes odieux, on me louangeait, on me considérait et on me considère encore comme un homme relativement moral. »
On se rend compte qu’en faisant cet aveu outré de ses « crimes », l’auteur cherche à impressionner par son exemple personnel, en vue de rendre plus concrète notre ignominie collective. Dans ses lettres confidentielles, au contraire, dans celles surtout qu’il avait écrites avant sa crise morale, Tolstoï livre exactement ses pensées, parce que visant sa propre édification et celle du confident isolé qu’il a choisi. Notons, au surplus, sa passion constante pour l’aveu public, révélant à un degré suprême la mentalité et le tempérament de sa race. Rappelez-vous Crime et Châtiment et les Frères Karamazov de Dostoïevsky, La Puissance des Ténèbres et Résurrection de Tolstoï, œuvres représentatives de la littérature, de l’esprit russe.
Encore un coup, tous les écrits de Tolstoï sont imprégnés d’une profonde conviction, de la recherche constante de la vérité, alors même que l’expression en est amplifiée. Mais seules ses lettres nous aident à suivre avec certitude le chemin parcouru par sa belle âme en peine, à assister aux péripéties de son évolution, péripéties souvent plus mouvementées que celles du plus captivant des romans.