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manque complet d’éducation de Lucas lui firent de la peine. « Quelle folie et quel enchevêtrement d’idées ! pensa-t-il ; un homme en tue un autre, et il en est heureux et content comme s’il avait accompli un haut fait ! Est-il possible que rien ne lui fasse sentir qu’il n’y a pas de quoi se réjouir, qu’il n’y a de bonheur que dans le sacrifice, et non dans le meurtre ? »

« Prends garde maintenant et ne lui tombe pas sous la patte ! dit à Lucas un des Cosaques qui avait accompagné le Tchétchène à la nacelle ; as-tu entendu ce qu’il a demandé ? »

Lucas leva la tête.

« Qui, mon filleul ? dit-il, désignant ainsi le mort.

— Le « filleul » ne se lèvera plus ; c’est de son frère aux cheveux rouges que je veux parler.

— Il n’a qu’à prier Dieu de rester sain et sauf lui-même, répondit Lucas en riant.

— De quoi ris-tu ? demanda Olénine ; si l’on avait tué ton frère, cela te ferait-il plaisir ? »

Le Cosaque regardait Olénine en riant ; il paraissait avoir compris son idée, mais il était au-dessus de tout préjugé.

« Quoi donc ? cela peut bien arriver ; est-ce que parfois on n’égorge pas aussi des nôtres ? »


XXII


Le centenier et le chef étaient partis. Olénine, pour faire plaisir à Lucas, et aussi pour ne pas traverser seul la forêt dans l’obscurité, obtint de l’ouriadnik la permission de prendre Lucas avec lui. Il pensait que Lucas serait heureux de revoir Marianna, et lui-même était content d’avoir un compagnon aussi communicatif. Il unissait Lucas et Marianna dans son imagination et pensait à eux