ne lui rendirent pas le salut. Plusieurs pourtant, et entre autres Lucas, se levèrent et se redressèrent. L’ouriadnik fit son rapport : tout était en ordre au poste. Tout cela parut drôle à Olénine : les Cosaques avaient l’air de jouer aux soldats. Bientôt toute étiquette fut mise de côté, et le centenier se mit à parler alertement tatare avec le drogman. On écrivit quelque chose sur un papier, qu’on remit au drogman ; on lui prit l’argent et l’on s’approcha du cadavre.
« Qui de vous est Lucas Gavrilow ? » demanda le centenier.
Lucas se découvrit et s’avança.
« J’ai fait mon rapport au colonel ; j’ai demandé pour toi la croix, car c’est trop tôt de t’avancer ouriadnik. Sais-tu lire ?
— Non.
— Quel beau garçon ! dit le centenier ; de quelle famille es-tu ? des Gavrilow Chéraki ?
— C’est leur neveu, répondit l’ouriadnik.
— Je sais, je sais. Eh bien ! va aider les Cosaques. »
Lucas était rayonnant. Il remit son bonnet et se rassit près d’Olénine.
On déposa le corps de l’Abrek dans un bateau, le Tchétchène s’approcha du rivage, les Cosaques se retirèrent, lui faisant involontairement place.
Il frappa violemment la terre du pied et sauta dans la nacelle. Olénine remarqua que pour la première fois le Tchétchène jeta les yeux sur les Cosaques et fit une brusque question à son compagnon ; celui-ci répondit en montrant Lucas. Le Tchétchène le regarda et, se détournant lentement, porta ses regards vers la rive opposée. Ses yeux n’exprimaient pas la haine, mais un froid mépris. Il dit encore quelques mots.
« Que dit-il ? demanda Olénine.
— Vous nous battez, nous vous brisons ; tout est tohu-bohu », dit le drogman, prononçant à dessein ces paroles