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voyage et en cache-nez de laine. Ses chevaux attendent depuis minuit, et il est quatre heures. »

Dmitri Andréitch jeta les yeux sur Vania et crut voir dans son costume de voyage, ses bottes de feutre et son visage endormi l’appel à une nouvelle existence, existence de privation, de labeur et d’activité.

« Il est réellement temps, dit-il ; adieu, mes amis ! »

Il boutonna sa pelisse. Ses amis lui conseillèrent d’envoyer un pourboire au cocher de poste et de le faire encore attendre, mais il refusa, mit son bonnet fourré et s’arrêta au milieu de la chambre. Ses amis prirent congé de lui et l’embrassèrent une, deux, trois fois. Le partant s’approcha de la table, vida un verre de vin, et, prenant la main du petit laid, il rougit.

« Dis-moi encore…, je puis, je dois te parler franchement, parce que j’ai beaucoup d’amitié pour toi… Dis-moi donc…, l’as-tu aimée ? je l’ai toujours soupçonné,… dis,… oui ?

— Oui, répondit le petit jeune homme, souriant doucement.

— Alors peut-être…

— Je vous prie, messieurs, j’ai l’ordre d’éteindre les bougies, dit le garçon d’hôtel, qui ne pouvait s’expliquer pourquoi ces jeunes gens répétaient toujours la même chose. — À qui remettrai-je la note ? est-ce à vous, monsieur ? fit-il en se tournant vers le grand jeune homme, sachant d’avance à qui s’adresser.

— À moi, dit-il. Combien à payer ?

— Vingt-six roubles. »

Le grand jeune homme réfléchit un moment, mais ne répondit rien et mit la note dans sa poche. Les deux autres continuaient à causer.

« Adieu donc ! tu es un bien brave garçon ! » dit le petit maigre au doux sourire.

Les yeux des deux jeunes gens étaient humides. Ils descendirent sur le perron. Le partant se tourna en rougissant vers le grand jeune homme.