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prends le petit sac dans le vestibule, on me l’a prêté pour toi, ou bien veux-tu que je le mette dans la sacoche ?

— C’est bon, dit Lucas. Si Guereï-Khan venait, envoie-le-moi au cordon, car on ne me laissera pas revenir de longtemps, et j’ai affaire à lui. »

Il se disposait à partir.

« Je te l’enverrai, Loukachka, je te l’enverrai, dit la vieille. As-tu passé la nuit chez Jamka ? Je me suis levée pour soigner le bétail et j’ai cru t’entendre chanter. »

Lucas ne répondit pas. Il passa dans le vestibule, jeta sa giberne par-dessus l’épaule, retroussa son caftan, prit sa carabine et s’arrêta sur le seuil.

« Adieu, mère, dit-il ; envoie-moi un petit tonneau de vin par Nazarka ; je l’ai promis aux camarades. »

Il sortit et ferma derrière lui la porte cochère.

« Que le Christ veille sur toi, Loukachka ! Que Dieu te garde ! Je t’enverrai du vin de la nouvelle tonne, dit la vieille, s’approchant de la haie ; mais écoute », ajouta-t-elle, se penchant par-dessus la haie.

Le Cosaque s’arrêta.

« Tu t’es amusé ici, et que Dieu en soit loué ! un jeune homme doit s’amuser, et le Seigneur t’a envoyé bonne chance : c’est très bien. Mais là, mon fils, prends garde !… Avant tout, sois respectueux avec tes chefs, il le faut. Quant au vin, je le vendrai, tu auras un cheval et tu épouseras la jeune fille.

— C’est bon ! c’est bon ! » dit le fils en fronçant les sourcils.

La muette jeta un cri pour attirer son attention ; elle lui montrait sa main et sa tête, ce qui signifiait une tête rasée, un Tchétchène. Elle fronça les sourcils, fit mine d’armer un fusil et se mit à secouer la tête : elle voulait que Lucas tuât encore un Abrek.

Lucas comprit, sourit, et, soutenant sa carabine sous la bourka, il s’éloigna d’un pas léger et disparut bientôt dans l’épais brouillard du matin.