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XV


« Que te disais-je ? continua Jérochka, rassemblant ses souvenirs. Oui ! voilà quel homme je suis ! Je suis chasseur, je n’ai pas mon pareil sous ce rapport parmi les Cosaques. Je trouverai et t’indiquerai toute espèce de bête ou d’oiseau. J’ai des chiens, deux carabines, des filets, et un épervier, et tout ce dont j’ai besoin, Dieu merci. Si tu ne mens pas et que tu sois véritablement amateur de chasse, je te conduirai aux bons endroits. Voilà quel homme je suis, je trouverai la piste de la bête ; je sais où elle se repose, où elle s’abreuve, où elle se vautre. Je m’arrange un affût, et j’y passe la nuit ; pourquoi rester à la maison ? On y est induit en tentation, on s’enivre ; les femmes viennent bavarder, les enfants crient. Quelle différence de se lever avant le jour, d’aller chercher une bonne petite place, d’y aplatir les roseaux et de s’y asseoir au gué en brave garçon. On voit ce qui se passe dans la forêt, on regarde le ciel, on observe les étoiles et l’on devine l’heure. Jette-t-on les yeux autour de soi : on voit la feuillée s’agiter, on s’attend au craquement d’un sanglier qui avance, au sifflement des aiglons, au chant du coq dans la stanitsa ou aux cris des oies. Si l’on entend les oies : preuve qu’il n’est pas minuit. Je connais tout cela. Si un coup de fusil retentit au loin, mille pensées m’assaillent : je me demande qui a tiré. Est-ce un Cosaque comme moi, qui guette une proie ? A-t-il tué la bête ou l’a-t-il seulement blessée ? Et la pauvrette teint inutilement les roseaux de son sang. Oh ! que je n’aime pas cela ! Imbécile ! imbécile, dis-je, pourquoi tourmentes-tu cette bête ? Ou bien je me dis que c’est un Abrek qui a tué un pauvre petit Cosaque. Tout cela me trotte par la tête. Je vis, un jour que j’étais assis sur le rivage, un berceau flotter sur l’eau,