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— Ah ! ah ! te voilà bien en peine, dit Ergouchow.

— Ont-ils empesté la cabane de tabac ? demanda une autre.

— Ils n’ont qu’à fumer dans la cour, nous ne les laisserons pas entrer dans la chambre. Si même le chef l’ordonnait, je ne les laisserais pas entrer. Ils nous dévaliseraient encore. Le chef de la stanitsa est bien avisé, fils du diable qu’il est ! Il n’y a pas de soldats chez lui.

— Ils te déplaisent ? dit Ergouchow.

— Ce n’est pas tout, dit Nazarka, tâchant d’imiter Lucas et rejetant comme lui son bonnet sur la nuque ; on dit qu’il sera ordonné aux filles cosaques de faire leurs lits et de les régaler de miel et de vin. »

Ergouchow éclata bruyamment de rire et, saisissant celle qui était tout près de lui, il l’embrassa en répétant :

« C’est vrai ! c’est juste !

— Laisse-moi, glu que tu es ! criait la jeune fille, je me plaindrai à ta femme.

— Plains-toi ! s’écriait Ergouchow ; Nazarka dit vrai, il sait, lui, il a lu l’ordonnance imprimée. — Et il embrassa la fille suivante.

— Ne m’ennuie pas, racaille ! » criait en riant la fraîche et ronde jeune Oustinka, le menaçant du poing.

Le Cosaque trébucha.

« Voyez, dit-il, si les femmes n’ont pas de force ! Celle-ci a failli me tuer.

— Va-t’en, glu du diable ! Quel malin esprit t’a amené ici ! »

Et Oustinka se détournait en éclatant de rire.

« Dis donc, tu as manqué l’Abrek ? S’il t’avait escofié, toi, cela aurait mieux valu.

— Tu en aurais gémi, pas vrai ? demandait en riant Nazarka.

— Certes, je n’aurais pas manqué !

— Voyez donc, l’indifférente ! disait Ergouchow. Hé ! Nazarka ! aurait-elle gémi ? »