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raissaient dans l’ombre, les étoiles s’allumaient dans le ciel ; tout bruit cessait dans la stanitsa. Les femmes, après avoir achevé leur ménage, venaient s’asseoir au coin des rues, sur les terre-pleins des cabanes et grignotaient des graines de tournesol. Marianna, après avoir trait la bufflonne et les deux vaches, vint rejoindre un des groupes, composé de plusieurs femmes et d’un vieux Cosaque. On parlait de l’Abrek. Le Cosaque contait sa mort, les femmes le questionnaient.

« On lui donnera probablement une récompense, disait l’une d’elles, parlant de Lucas.

— Certainement ; on assure qu’il recevra la croix.

— Mossew a voulu lui faire un passe-droit ; il lui a pris le fusil, et c’est parvenu au chef, à Kizliar.

— Quel misérable, ce Mossew ?

— On dit que Loukachka est rentré, dit une des jeunes filles.

— Il est chez Jamka avec Nazarka. (Jamka était une fille qui tenait un cabaret.) On dit qu’ils ont pris un demi-litre à eux deux.

— Quelle chance a cet ourvane ! dit l’une des femmes, mais c’est que c’est un brave garçon, droit et adroit. Son père était ainsi ; toute la stanitsa a pleuré quand on l’a tué. Mais les voilà ! continua-t-elle, montrant les Cosaques qui venaient le long de la rue. Ergouchow est avec eux ; ce vieil ivrogne a trouvé le temps de les rejoindre. »

Lucas, Nazarka et Ergouchow, après avoir vidé un demi-seau d’eau-de-vie, s’approchaient, tous trois, surtout le vieux Cosaque, plus rouges que de coutume. Ergouchow chancelait, riait bruyamment, poussait Nazarka.

« Pourquoi ne chantez-vous pas, pécores ? cria-t-il aux femmes ; je veux que vous chantiez pour notre plaisir.

— Bonsoir ! bonsoir ! cria-t-on de tous côtés aux jeunes gens.

— Pourquoi chanter ? répondit une des femmes, ce n’est pas fête aujourd’hui.