réfléchissait dans l’eau ; le pont, couvert de monde, était éclairé par des feux sur la batterie Nicolas ; une grande gerbe de flammes semblait s’élever au-dessus de l’eau sur la pointe éloignée de la batterie Alexandre et illuminait la couche inférieure d’un nuage de fumée qui se balançait au-dessus ; comme la veille, les feux de la flotte ennemie brillaient au loin dans la mer, calmes et insolents : les mâts de nos vaisseaux coulés à fond et s’enfonçant lentement dans les eaux profondes se dessinaient sur la lueur rouge des incendies. Sur le pont du bateau, personne ne parlait ; de temps à autre, au milieu du clapotement régulier de la vague que fendaient ses roues et du bouillonnement de la vapeur qui s’échappait, on entendait s’ébrouer les chevaux, dont les fers frappaient sur le plancher, on entendait le capitaine prononcer quelques paroles de commandement, et aussi les douloureux gémissements des blessés. Vlang, qui n’avait pas mangé depuis la veille, tira une croûte de pain de sa poche et y mordit, mais à la pensée de Volodia il éclata en sanglots si bruyants que les soldats en furent surpris.
« Tiens, il mange du pain et il pleure, notre Vlang, dit Vassine.
— Étrange ! ajouta l’un d’eux.
— Vois donc, ils ont brûlé nos casernes ! poursuivit-il en soupirant. Combien des nôtres y sont morts, et pourtant le Français s’en est emparé.
— C’est avec peine que nous en sommes sortis vivants, il faut en remercier Dieu, dit Vassine.
— C’est égal, c’est enrageant.
— Pourquoi ça ? crois-tu donc qu’ils y mèneront joyeuse vie ! Attends un peu, nous les reprendrons. Nous en perdrons encore des nôtres, possible ; mais, aussi vrai que Dieu est saint, si l’empereur l’ordonne, on les reprendra ! Est-ce que tu crois qu’on les lui a laissées telles quelles, allons donc ! il n’a eu que des murailles nues ; on a fait sauter les retranchements ! Il a planté son drapeau sur le