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la main et le questionna sur Pétersbourg et son voyage.

« Eh bien, messieurs, veuillez vous approcher de l’eau-de-vie ; les enseignes ne boivent pas », ajouta-t-il en souriant.

Le commandant de la batterie ne semblait plus aujourd’hui aussi sévère que la veille ; il avait même plutôt l’air d’un hôte bienveillant et hospitalier d’un camarade parmi ses officiers : tous, malgré cela, depuis le vieux capitaine jusqu’à l’enseigne Dédenko, lui témoignaient un respect qui se trahissait dans la politesse timide avec laquelle ils lui parlaient et s’approchaient à la file pour boire leur petit verre d’eau-de-vie.

Le dîner se composait de chtchi servi dans une grande soupière où nageaient des morceaux de viande garnis de graisse, des feuilles de laurier et beaucoup de poivre, de zrasi à la polonaise avec de la moutarde, et de koldouny au beurre légèrement rance : point de serviettes ; les cuillers étaient en étain et en bois, les verres au nombre de deux ; sur la table une seule carafe d’eau avec le goulot brisé ; la conversation ne tarissait pas : on parla d’abord de la bataille d’Inkerman, à laquelle cette batterie avait pris part ; chacun racontait ses impressions, ses aperçus sur les causes de l’insuccès, se taisant aussitôt que parlait le commandant de la batterie ; puis on se plaignit de manquer de canons d’un certain calibre, on causa de certains autres perfectionnements, ce qui donna occasion à Volodia de faire preuve de son savoir ; chose curieuse, la causerie n’effleura même pas l’effroyable situation de Sébastopol, ce qui semblait vouloir dire que chacun, à part soi, y pensait trop pour en parler. Volodia, très étonné et même chagriné de ce qu’il ne fût nullement question des devoirs de son service, se disait qu’il semblait n’être arrivé à Sébastopol que pour donner des détails sur les nouveaux canons et dîner chez le commandant de la batterie. Un obus éclata pendant le repas à deux pas de la maison ; le plancher et le mur en furent