Le commandant de la batterie lui répondit par un salut assez sec et l’engagea à s’asseoir, sans lui tendre la main. Volodia s’assit donc timidement près de la table à écrire, et, s’emparant dans sa distraction d’une paire de ciseaux, il se mit à jouer avec eux machinalement. Les mains derrière le dos, la tête baissée, le commandant de la batterie reprit sa promenade en silence, jetant de temps à autre les yeux sur les doigts qui continuaient à jongler avec les ciseaux.
« Oui, dit-il en s’arrêtant enfin devant le sergent-major, à partir de demain il faudra donner un garnetz[1] de plus aux chevaux des caissons ; ils sont maigres. Qu’en penses-tu ?
— Pourquoi pas ? ça se peut, Votre Haute Noblesse, l’avoine est maintenant à meilleur marché », répondit le sergent-major, les bras pendants collés le long de son corps et remuant les doigts, mouvement habituel dont il accompagnait volontiers sa conversation. Et puis il y a le fourrageur Frantzouc qui m’a écrit hier un mot, Votre Haute Noblesse : il dit qu’il nous faut absolument acheter des essieux ; ils sont à bon marché ; alors qu’ordonnez-vous ?
— Eh bien, il faut en acheter, il a de l’argent, répondit le commandant en se remettant à marcher. — Où sont vos effets ? » dit-il tout à coup en s’arrêtant devant Volodia.
Le pauvre Volodia, poursuivi par la pensée qu’il était un lâche, voyait percer dans chaque regard, dans chaque parole, le mépris qu’il devait inspirer, et il lui sembla que son chef avait déjà pénétré son triste secret et qu’il le raillait ; aussi répondit-il troublé que ses effets étaient à la Grafskaïa et que son frère les lui enverrait le lendemain.
« Où logerons-nous l’enseigne ? demanda le lieutenant-colonel au sergent-major, sans écouter la réponse du jeune homme.
- ↑ Mesure d’avoine.