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— À la Sévernaïa, pour des cartouches ; on m’envoie à la place de l’aide de camp du régiment… On s’attend d’heure en heure à un assaut.

— Et Martzeff, où est-il ?

— Il a perdu une jambe hier en ville, dans sa chambre,… il dormait. Vous le connaissez peut-être ?

— Le régiment est au cinquième, n’est-ce pas ?

— Oui, il a remplacé les M… Passez à l’ambulance, vous y trouverez des nôtres, on vous conduira.

— Et mon logement dans la Morskaïa, a-t-il été préservé ?

— Eh ! batiouchka, il y a longtemps que les bombes l’ont rasé ! Vous ne reconnaîtrez plus Sébastopol ; il n’y a plus une âme ! ni femmes, ni musique, ni traiteur, le dernier est parti hier ; c’est maintenant d’un triste… Adieu ! » et l’officier partit au trot.

Une peur effroyable s’empara tout à coup de Volodia ; il lui sembla qu’une bombe allait tomber sur lui et qu’un éclat le frapperait immanquablement à la tête. Ces ténèbres humides, ces sons sinistres, le bruit constant des vagues courroucées, tout semblait l’engager à ne pas faire un pas de plus et lui dire que rien de bon ne l’attendait là-bas, que son pied ne toucherait plus jamais la terre ferme de l’autre côté de la baie, qu’il ferait bien de retourner en arrière, de s’enfuir au plus vite loin de ces lieux terribles où régnait la mort. « Qui sait ? il est peut-être trop tard ; mon sort est décidé ! » Voilà ce qu’il se disait, en frissonnant à cette pensée et aussi à cause de l’eau qui s’infiltrait dans ses bottes ; il poussa un profond soupir et s’écarta un peu de son frère.

« Mon Dieu ! est-ce que je serai vraiment tué, justement moi ? mon Dieu ! ayez pitié de moi ! » murmura-t-il en se signant.

« Eh bien, Volodia, avançons ! lui dit son frère lorsque leur charrette les eut rejoints. As-tu vu la bombe ? »

Plus loin ils rencontrèrent encore des voitures, qui transportaient des blessés, des gabions ; l’une d’elles, remplie de