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VIII


« Est-ce vraiment Sébastopol ? » demanda Volodia lorsqu’ils atteignirent le haut de la montagne.

Devant eux apparut la baie avec sa forêt de mâts, la mer avec la flotte ennemie dans le lointain, les blanches batteries du rivage, les casernes, les aqueducs, les docks, les constructions de la ville. Des nuages d’une fumée blanche et lilas clair s’élevaient sans cesse au-dessus des montagnes jaunes qui entouraient la ville et se découpaient sur le ciel bleu éclairé par les rayons rosés du soleil réfléchis avec éclat par les flots, pendant que le soleil descendait à l’horizon dans la mer sombre.

Ce fut sans le moindre frémissement d’horreur que Volodia aperçut cet endroit si terrible auquel il avait tant pensé ; il éprouvait, au contraire, une jouissance esthétique, un sentiment de satisfaction héroïque en songeant que dans une demi-heure il serait lui-même là-bas, et ce fut avec une profonde attention qu’il regarda sans interruption ce tableau d’un charme original, jusqu’au moment où ils arrivèrent à la Sévernaïa ; là étaient les bagages du régiment de son frère, et là aussi il devait se renseigner sur l’endroit où se trouvaient son régiment à lui et sa batterie.

L’officier du train demeurait près de ce qu’on appelait la nouvelle petite ville, composée de baraques construites en planches par les familles des marins. Dans une tente attenante à un hangar d’assez grande dimension fait de branches de chêne feuillues qui n’avaient pas encore eu le temps de se faner, les frères trouvèrent l’officier assis, en chemise d’un jaune sale, devant une table assez malpropre, sur laquelle refroidissait un verre de thé à côté d’un plateau et d’un carafon d’eau-de-vie : quelques miettes de