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— Bien entendu ! Tu n’as pas, je pense, grand’chose avec toi ; ça trouvera sa place !

— Bien, partons », répliqua le cadet, qui rentra dans la maison en poussant un soupir.

Au moment d’ouvrir la porte de la salle, il s’arrêta, inclina la tête.

« Aller droit à Sébastopol, se dit-il, s’exposer aux bombes, c’est terrible ! Du reste, n’est-ce pas indifférent, que ce soit aujourd’hui ou plus tard ?… Au moins avec mon frère… »

À dire vrai, à la pensée que la télègue l’emporterait d’une traite jusqu’à Sébastopol, qu’aucun incident nouveau ne le retiendrait plus en route, il venait seulement de se rendre compte du danger qu’il était venu chercher et dont la proximité l’émut profondément. Parvenu enfin à se calmer, il rejoignit ses camarades et resta si longtemps avec eux, que son frère, impatienté, ouvrit la porte pour l’appeler et l’aperçut planté devant l’officier, qui le réprimandait comme un écolier. À la vue de son frère, il perdit toute contenance.

« J’arrive tout de suite, lui cria-t-il en faisant un geste de la main ; attends-moi, j’arrive !… »

Une seconde plus tard, il alla le retrouver.

« Figure-toi, lui dit-il en soupirant profondément, que je ne puis pas partir avec toi.

— Quelles balivernes ! Pourquoi ?

— Je vais te dire la vérité, Micha ; nous n’avons pas un sou vaillant ; nous devons, au contraire, de l’argent à ce capitaine là-bas ; c’est horriblement honteux ! »

Le frère aîné fronça les sourcils et garda le silence.

« Dois-tu beaucoup ? lui demanda-t-il enfin sans le regarder.

— Non, pas beaucoup, mais cela me gêne terriblement. Il a payé pour moi à trois relais ; je profite de son sucre, et puis nous avons joué à la préférence et je reste lui devoir une bagatelle…