geant avec son camarade un regard qui avait la matrone pour objectif.
« Mais c’est Koseltzoff qui en a demandé, reprit le jeune officier ; il faut le réveiller ! — Voyons, viens manger », ajouta-t-il en s’approchant du dormeur et le secouant par l’épaule.
Un jouvenceau de dix-sept ans, avec des yeux noirs, vifs, brillants, des joues toutes rouges, se leva d’un bond, et, ayant involontairement poussé le docteur :
« Mille excuses », lui dit-il en se frottant les yeux et en restant planté au milieu de la chambre.
Le sous-lieutenant Koseltzoff reconnut aussitôt son cadet et s’approcha de lui.
« Me reconnais-tu ? lui dit-il.
— Ah ! ah ! voilà qui est renversant ! » s’écria le cadet en embrassant son frère.
Deux baisers résonnèrent, mais au moment de s’embrasser pour la troisième fois, comme le veut l’usage, ils hésitèrent une seconde ; on aurait dit que tous deux se demandaient pourquoi il fallait justement s’embrasser trois fois.
« Comme je suis content de te voir ! dit l’aîné en entraînant son frère dehors ; causons un peu !
— Allons, allons, je ne veux plus de borchtch. Mange-le, Féderson, dit le jeune garçon à son camarade.
— Mais tu avais faim…
— Non, je n’en veux plus… »
Une fois dehors sur le petit perron, après les premières effusions de joie du cadet, qui ne cessait de questionner son aîné sans lui parler de ce qui le concernait lui-même, ce dernier, profitant d’un moment de silence, lui demanda enfin pourquoi il n’était pas entré dans la garde, comme on s’y attendait.
« Parce que je tenais à aller à Sébastopol : si tout se termine heureusement, j’y gagnerai plus que si j’étais resté dans la garde ; là-bas il faut bien compter dix ans