manchot en ramassant un couteau que celui-ci avait laissé tomber), comme on nous avait dit que les chevaux étaient hors de prix à Sébastopol, nous en avons acheté un à Symphéropol, à frais communs.
— Vous a-t-on bien écorchés ?
— Je n’en sais rien, capitaine ! Nous avons payé le tout, cheval et charrette, 90 roubles. Est-ce très cher ?… ajouta-t-il en s’adressant à tous, Koseltzoff y compris, qui le regardait.
— Ce n’est pas trop cher, si le cheval est jeune, lui dit ce dernier.
— N’est-ce pas ? et pourtant on nous assurait que c’était cher. Il boite un peu, c’est vrai, mais cela passera ! On nous a dit qu’il était vigoureux.
— De quel établissement sortez-vous ? lui demanda Koseltzoff, désireux d’avoir des nouvelles de son frère.
— Nous faisons partie du régiment de la Noblesse, nous sommes six qui allons de notre propre chef à Sébastopol, répondit le loquace petit officier, mais nous ne savons pas au juste où est notre batterie ; les uns la disent à Sébastopol, et voilà monsieur qui dit qu’elle est à Odessa.
— N’auriez-vous pas pu vous renseigner à Symphéropol ? demanda Koseltzoff.
— On n’en sait rien là-bas !… Figurez-vous qu’on a injurié un de nos camarades qui est allé aux informations à la chancellerie,… c’était très désagréable !… Ne désirez-vous pas cette cigarette toute roulée ? » continua-t-il en l’offrant à l’officier sans bras, qui cherchait son porte-cigares.
L’enthousiasme du jeune homme perçait dans les petits soins qu’il lui prodiguait.
« Vous venez également de Sébastopol ? reprit-il. Mon Dieu, mon Dieu, comme c’est étonnant ! À Pétersbourg, nous ne faisions que penser à vous tous, à vous autres héros, ajouta-t-il en se tournant avec bonhomie et respect vers Koseltzoff.